Howling at the treetops
À quand remonte la dernière fois que vous avez été seul ? Je veux dire, complètement seul. Sans aucun contact – visuel, audio ou satellite – avec le moindre être humain, si bien qu’en cet instant vous n’existiez que dans votre propre univers. Je suppose que beaucoup d’entre vous n’ont jamais connu le plaisir de pouvoir hurler sans être entendu.
La solitude est une expérience que je souhaite à chacun d’explorer au cours de sa vie. S’éloigner des autres pour entrer dans un monde où l’on ne vit vraiment que pour soi. Personnellement, ce n’est que lorsque je quitte le jeu permanent du « Je me demande ce qu’ils pensent » que je me rends compte que j’y jouais. J’ai souvent l’impression que je me regarde mener ma vie comme si j’en étais détaché, obsédé par les jugements hypothétiques que j’imagine de la part de tous ceux qui m’entourent. C’est comme si j’avais doublement conscience de chacun de mes actes : qu’est-ce qu’ils pensent de moi, et qu’est-ce qu’ils pensent que je pense d’eux ?
Se retrouver complètement seul est une manière de faire taire cette voix ; et c’est là qu’on commence vraiment à se rendre compte des choses.
La première fois que j’ai découvert la vraie solitude, je devais avoir une dizaine d’années. C’est seulement maintenant que je réalise la chance que j’ai eue d’avoir cette occasion d’explorer. Chaque année, je partais avec ma famille dans une vieille cabane dans la région des Scottish Borders. Un jour, je jouais dans la rivière et je me suis aventuré seul dans les bois.
Après quelques minutes à marcher sans réfléchir, je me suis soudain aperçu que j’étais hors de portée de ma famille. C’est comme si un poids immense avait disparu de ma tête pour se déplacer quelque part dans ma poitrine. Une liberté de l’esprit, mais aussi une prise de conscience de ma vulnérabilité.
Je me souviens que mon cœur battait d’excitation quand j’ai regardé derrière moi et que je n’ai vu que des arbres. J’ai traversé la rivière en sautant d’une pierre à l’autre, grisé par ce cocktail de paix et de frisson que je goûtais pour la première fois. Lorsque je me suis senti suffisamment isolé, j’ai empli mes poumons et poussé un hurlement.
Pour moi, la beauté de ces instants tient à ce qu’ils renferment à la fois tout et rien. La plénitude de votre expérience intérieure contredit parfaitement le vide qui vous entoure. Vous avez l’impression d’être une île rouge fluo dans un océan de gris : votre énergie irradie dans toutes les directions et se perd dans le silence. Le monde viscéral, impétueux, de l’expérience immédiate se superpose à la conscience froide et humble de votre propre insignifiance.
Passez du temps tout seul. Et voyez ce qui se passe. Peut-être vous rendrez-vous compte que vous n’aviez jamais eu le sentiment d’être un individu auparavant, juste un élément d’un système plus vaste ; ou peut-être que, pour la première fois de votre vie, vous vous sentirez comme un animal qui explore son habitat. Vous vous mettrez peut-être à rire. Peut-être que vous aurez peur. Cela change à chaque fois, mais jamais je n’ai regretté mes aventures à la découverte de la solitude. »