CRAIG DEMARTINO AND ADAPTIVE ADVENTURES

COMMENT UN GRIMPEUR A TRANSFORMÉ L’ACCIDENT QUI A MIS FIN À SA CARRIÈRE EN NOUVEAU DÉPART.
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Words: Brigid Mander | Photos: Cameron Maier

Impossible de survivre à un tel accident : tel fut le premier verdict, au pied de la paroi, confirmé à l’hôpital par les urgentistes, qui pressentaient le décès imminent du grimpeur grièvement blessé. Sa femme, s’attendant au pire, a dû signer un tas de papiers déprimants.

Cinq jours plus tard, dont quatre sous assistance respiratoire, non seulement Craig DeMartino était en vie, mais son état s’était suffisamment amélioré pour qu’il quitte les soins intensifs. Il s’était accroché, défiant les pronostics des médecins. Les neurochirurgiens et les orthopédistes se sont alors empressés de réparer ce qui pouvait l’être.

Suite à un malentendu avec son partenaire d’escalade, Craig était tombé d’un relais alors qu’il se croyait assuré. Le grimpeur installé à Loveland, dans le Colorado, a chuté d’une trentaine de mètres, atterrissant debout après avoir heurté un arbre. Cette position lui a sans doute sauvé la vie, mais il s’est cassé les talons, chevilles, tibias et péronés des deux jambes, et sectionné une artère du bas de la jambe. Il a eu les vertèbres L2, C5 et C6 ainsi que les côtes droites brisées, le poumon droit perforé, le labrum de l’épaule droite déchiré et la bourse du coude droit éclatée. Dix-huit mois après l’accident, Craig s’est fait amputer de la jambe droite, environ 20 cm sous le genou.

 

Parce que même s’il se sentait incapable — mentalement et physiquement – de reprendre un jour l’escalade, Craig s’est remis à grimper. Après l’accident, il a accompagné sa femme Cyndy, grimpeuse assidue et talentueuse elle aussi, et leurs deux jeunes enfants, pour une sortie grimpe en famille. Quand sa fille Mayah, alors âgée de 6 ans, l’a regardé en demandant s’il allait tenter le 5c qu’elle venait de finir, il n’a pas pu refuser. « Ce fut un vrai cauchemar» se souvient Craig.

quote-leftIl m’a fallu 45 minutes pour gravir ces 9 mètres. Et une fois arrivé au relais, j’étais terrorisé.quote-right

Cyndy l’a aidé à vaincre sa peur et à redescendre en toute sécurité. Craig s’est alors rendu compte qu’il aimait toujours l’escalade : le vent, le rocher, les odeurs, et même la sensation de la magnésie et les chaussons inconfortables lui manquaient. Il est retourné grimper de temps en temps, apprenant à maîtriser sa peur. Il savait cependant que le bas de sa jambe droite, fragile et douloureux, ne guérirait jamais vraiment. Craig a donc choisi de se faire amputer sous le genou, laissant la quantité d’os nécessaire pour fixer une prothèse.

Et il s’est à nouveau consacré au sport. En 2006, quatre ans après sa chute, Craig est allé escalader El Capitan à Yosemite (Lurking Fear, 5b – 8a+, en 13 heures), aidé et encouragé par le grimpeur Hans Floring. Il est retourné plusieurs fois sur El Capitan, réalisant avec Jarem Frye et Pete Davis la première ascension de la voie Zodiac par une cordée entièrement composée de grimpeurs amputés.

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Mais les répercussions de l’accident de Craig sur le monde de l’escalade ne se limitent pas à ses exploits personnels. En 2007, un ami l’a invité à faire découvrir l’escalade à six anciens combattants amputés. « Je ne voulais pas y aller, mais [mon ami] m’a juste dit, “On se voit samedi”» raconte Craig.

quote-leftEt ça a vraiment changé ma vision des choses, nous avons aidé ces hommes à reprendre leur vie en main. Ils étaient tellement heureux, c’était génial. C’est comme ça que j’ai commencé à aider les autres.quote-right

Grâce à cette rencontre, un nouveau monde s’est ouvert à Craig, et même un nouveau métier. Mais il doit également sa réussite à son attitude positive : Craig est un éternel optimiste qui comprend parfaitement ce que peuvent ressentir les autres sportifs invalides. « Je leur dit : “Je vais t’emmener grimper, et si tu peux faire ça, tu peux sûrement faire un tas d’autres choses dont les gens te croient incapable” » dit-il, visiblement heureux.

Craig fait désormais partie du team Arc’teryx, qu’il a intégré en tant que grimpeur en 2010. En 2016, il a rejoint l’association américaine Adaptive Adventures, basée dans le Colorado, qui initie les athlètes invalides aux sports outdoor. Craig est la figure de proue de leur programme d’escalade. « Je suis grimpeur à plein temps maintenant ; la moitié du temps comme athlète, l’autre moitié comme entraîneur pour les personnes invalides » explique Craig, qui ajoute avec humour : « J’ai toujours voulu devenir grimpeur professionnel, j’étais loin de m’imaginer que ça se passerait de cette façon. »

Adaptive Adventures (AA) se consacre principalement aux anciens combattants. L’association à but non lucratif reçoit un soutien financier considérable du ministère américain des Vétérans, car des études démontrent à quel point le sport et les aventures outdoor peuvent leur être bénéfiques. Mais AA travaille également avec 45 % de civils et doit donc trouver d’autres sources de financement. Dans le cadre des subventions solidaires Do Right, Arc’teryx lui a récemment remis 25 000 $.

« Adaptive Adventures est née du désir de rendre la pratique des sports outdoor plus accessible », explique Chelsea Elder, directrice exécutive de l’association. « Nous voulons que les personnes invalides et leur famille apprennent à se lancer dans des aventures, à retrouver de l’autonomie et à rencontrer d’autres personnes ayant vécu des expériences similaires. Nous collaborons notamment avec les centres médicaux pour vétérans en proposant des sports adaptés. Craig travaille avec de nombreuses personnes souffrant de stress post-traumatique ; l’escalade est un excellent moyen d’atténuer ces troubles. »

« Ce que je constate, c’est qu’un traumatisme grave peut amener quelqu’un, vétéran ou pas, à douter de sa propre identité, raconte Craig. Lorsque j’emmène quelqu’un grimper, il se rend compte qu’il est toujours un être humain ; il se dit : “Je suis différent, mais je peux encore profiter de la vie.” Certains vétérans me disent : “Je n’ai rien fait depuis que j’ai quitté l’armée.” Un homme m’a confié qu’il n’était pas sorti de chez lui depuis deux ans, parce qu’il souffrait de stress post-traumatique. Et puis vous voyez se développer l’amour du sport, et l’amour de la nature. »

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L’association se concentre sur des régions défavorisées des États-Unis, telles que les banlieues et les zones très rurales. Craig reçoit son budget annuel et s’organise pour aller là où l’on a besoin de lui. « Le programme, c’est moi. Mais je forme aussi les vétérans et les employés des salles d’escalade au rôle de mentor afin qu’ils puissent continuer après mon départ. Nous les mettons en contact, nous leur transmettons notre passion, nous achetons le matériel adapté pour la salle, puis nous pouvons utiliser une partie de notre subvention pour offrir un abonnement d’un an au mur d’escalade à ceux que ça intéresse, pour que l’argent ne soit pas un frein. Nous sommes là pour éliminer les obstacles, pas pour en créer. »

Dans de nombreuses communautés défavorisées, Craig va à la rencontre de tous ceux que le programme est susceptible d’intéresser. AA rend le sport accessible aux athlètes invalides, mais Craig ne rate jamais une occasion d’enrichir la vie d’un grimpeur potentiel, même valide, en l’initiant à l’escalade.

Il évoque l’exemple d’une salle d’escalade d’un quartier sensible de Cleveland où, en plus d’accueillir les anciens combattants, le propriétaire avait organisé un barbecue pour rassembler les voisins.

quote-leftLes gens se sont dit : OK, je vais aller manger un hot-dog et écouter parler cet imbécile avec une jambe en moins ; et au bout d’un moment, ils ont eu envie de grimper!quote-right

Pour Craig, c’est ça le succès : montrer à tout le monde que l’escalade existe et qu’il s’agit d’un sport accessible, que chacun peut pratiquer.